»Pourquoi le Tout-Puissant ne réserve-t-il pas des temps pour le jugement et pourquoi ceux qui le connaissent ne voient-ils pas les jours de son intervention? On déplace les bornes, on vole des troupeaux et on les conduit au pâturage, on s’empare de l'âne des orphelins, on prend pour gage le bœuf de la veuve, on écarte les pauvres du chemin, on force tous les faibles du pays à se cacher. Pareils à des ânes sauvages dans le désert, ils doivent partir au travail dès l’aube pour chercher leur nourriture, mais ils n'ont que des plaines arides pour trouver du pain à leurs enfants. Ils coupent le fourrage qui reste dans les champs, ils grappillent dans la vigne du méchant. Ils passent la nuit tout nus, sans habit, sans protection contre le froid. Ils sont trempés par les fortes averses des montagnes et, faute de refuge, ils se blottissent contre les rochers. On arrache l’orphelin à sa mère, on réclame des gages au pauvre. Ils vont tout nus, sans habit. Ils doivent porter des gerbes tout en restant eux-mêmes affamés. Ils font de l'huile dans les domaines des riches, ils écrasent le raisin au pressoir, et pourtant ils restent assoiffés. De la ville montent les soupirs de la population, les blessés appellent au secours. Et Dieu ne prête pas attention à ces actes écœurants!
»D'autres se révoltent contre la lumière: ils ignorent ses voies, ils ne s’attachent pas à ses sentiers. L'assassin se lève avec la lumière, il tue le malheureux et le pauvre, et pendant la nuit il se mue en voleur. L'œil de l'homme adultère guette le crépuscule: ‘Personne ne me verra’, se dit-il, et il met un voile sur son visage. La nuit ils forcent les maisons, le jour ils se tiennent enfermés; ils ne connaissent pas la lumière. C’est que pour eux tous, le matin est synonyme d'ombre de la mort: ils n’ignorent pas les terreurs de l’ombre de la mort.
»Pourtant, d’après vous, le méchant serait tout léger à la surface de l’eau, il n'aurait droit sur la terre qu'à une part maudite et ne prendrait jamais le chemin des vignes! Tout comme la sécheresse et la chaleur absorbent la fonte de la neige, le séjour des morts engloutirait ceux qui pèchent. Le ventre de sa mère oublierait l’homme injuste, les vers feraient leurs délices de lui. On ne se souviendrait plus de lui, il serait brisé comme un arbre, lui qui dépouille la femme stérile, sans enfants, lui qui ne traite pas bien la veuve.
»Non! Dieu prolonge par sa force les jours des tyrans, et les voilà debout quand ils ne comptaient plus sur la vie. Il leur permet de vivre en sécurité et ils en profitent, mais il surveille leur conduite. Ils se sont élevés quelque temps, mais ils ne sont plus là: ils s’effondrent et sont fauchés comme tous les autres, ils sont coupés comme la tête d’un épi. Si tel n’est pas le cas, qui pourra prouver que je mens et réduire à néant mes affirmations?»